La dévotion sans la charité par Saint François de Sales

Un jour, Mgr camus demanda à Mgr de Sales

«Comment peut-il se faire qu’on trouve parfois des chrétiens d’une grande dévotion et pourtant fort méchants? Leur dévotion n’est-elle qu’hypocrisie?

– Non, non, répondit-il, leur dévotion est véritable. C’est qu’en elle-même, la dévotion n’est qu’une vertu morale et acquise, non point divine et infuse. Autrement, elle serait théologale, ce qui n’est pas.

Mais, même des vertus théologales comme la foi et l’espérance sont compatibles avec le péché mortel. Lorsqu’elles sont privées de charité, elles sont informes et mortes. Comme l’apprend l’apôtre, on peut avoir la foi jusqu’à transporter les montagnes sans avoir la charité.

On peut être vrai prophète et méchant homme, comme l’ont été Saül, Balaam et Caïphe. L’on peut faire des miracles, comme l’on croit que Judas en a faits, et être méchant comme lui.

On peut même donner tous ses biens aux pauvres et souffrir le martyre sans avoir la charité. Beaucoup plus aisément, on peut être fort dévot et pourtant fort méchant. Cette dévotion-là est morte.

– La dévotion morte est-elle encore une vraie dévotion?

– Oui, répondit Mgr de Sales, comme un corps mort est un vrai corps, quoiqu’il soit privé de son âme.

– Mais, lui rétorqua Mgr Camus, ce vrai corps n’est pas un vrai homme.

– Ce n’est certes pas un vrai homme entier; c’est le vrai corps d’un vrai homme, mais mort. Ainsi en est-il de la dévotion sans charité : c’est une vraie dévotion, mais morte. Par la charité, l’homme est bon. Par la dévotion seule, il n’est que dévot. En perdant la charité, il perd sa bonté, non sa dévotion. Par le péché mortel, on ne perd pas toutes les qualités acquises, pas même la foi et l’espérance, à moins de produire des actes caractérisés d’infidélité et de désespoir.»